jeudi 27 octobre 2011

Le tuteur à distance et les fonctions d'accompagnement. Par Jacques Rodet

Marianne Poumay dans son article intitulé « L’accompagnement : une fonction multiforme, un contrat clair à établir d’emblée » fait référence aux travaux de Champion, Kiel et McLendon dont je reproduis ci-dessous un tableau réinterprété par Massé (1998).


Poumay précise que « Nous avons parcouru plusieurs répertoires de tâches et modèles classifiant des rôles des développeurs. L’une des constantes repérées chez leurs auteurs est la prudence avec laquelle ils hiérarchisent ces rôles, affirmant que les uns ne vont souvent pas sans les autres et que la polyvalence est l’une des caractéristiques essentielles dont doit faire preuve le développeur, en fonction des situations et des contextes. »

Je la rejoins volontiers dans cette remarque et me propose de situer le tuteur à distance par rapport à chacun de ces neuf rôles.

Le tuteur à distance est-il un conseiller ?
Il arrive fréquemment au tuteur à distance de devoir prodiguer des conseils à un apprenant ou à un groupe d’apprenants à distance. Conseils de type méthodologique le plus souvent, ceux-ci peuvent également avoir des résonnances de type métacognitif. Il est néanmoins essentiel que le tuteur à distance fasse clairement la distinction entre le conseil et la consigne. Si l’apprenant doit se conformer à une consigne, il reste libre de suivre ou non le conseil qui lui a été donné (cf. La consigne et le conseil : de leurs usages par le tuteur à distance).

Le tuteur à distance est-il un instructeur ?
Il n’appartient pas au tuteur à distance d’instruire l’apprenant. Cette tâche étant dévolue aux ressources médiatiques de la formation à distance. Toutefois, il appartient au tuteur à distance de souligner les réussites de l’apprenant et de lui indiquer comment il aurait pu obtenir un meilleur résultat. En cas d’insuffisance criante du matériel pédagogique, il peut devenir sinon instructeur, du moins transmetteur.

Le tuteur à distance est-il un partenaire ?
Plus qu’un partenaire, le tuteur à distance est l’interlocuteur privilégié de l’apprenant. Si le tuteur ne fait pas avec l’apprenant, il apporte son soutien pour que l’apprenant réalise ses apprentissages. Il est à noter que la construction de connaissances, si elle est facilitée par l’échange et la négociation du sens, est toujours un processus individuel. Notons, que le tuteur à distance, comme tout pédagogue apprend toujours des apprenants qu'il accompagne. Le seul cas où le tuteur peut être considéré comme un partenaire de l'apprenant est lorsqu'il l'est lui-même et qu'il est donc tuteur-pair.

Le tuteur à distance est-il un facilitateur ?
Nombreux tuteurs se considèrent, avec raison selon moi, comme ayant une fonction de facilitateur. S’ils n’interviennent pas dans le faire de l’apprenant, ils procurent assistance à ce dernier sur le processus qui préside à la réalisation de ces tâches. Là encore ce sont les plans méthodologiques et métacognitif qui sont les plus concernés par les interventions tutorales visant la facilitation.

Le tuteur à distance est-il un formateur ?
Dans de nombreux dispositifs, notamment à l’université, le tuteur est également fréquemment l’enseignant. Ainsi, la dénomination d’enseignant-tuteur est employée pour désigner un professeur qui après avoir conçu la formation et réalisé les ressources médiatiques afférentes, anime la diffusion de la formation. Il est à noter que le tutorat à distance s’inscrit bien dans le processus former du triangle d’Houssaye et qu’il nécessite de la part des enseignants et/ou des formateurs, l’abandon de la posture magistrale pour investir celle de soutien. (cf. Quelle place pour le tuteur à distance dans le triangle d'Houssaye ?)

Le tuteur à distance est-il un modèle ?
A part dans les formations de tuteurs, et avec beaucoup de réserve de ma part, le tuteur à distance ne peut pas prétendre à être un modèle, tant soit peu que cette démarche est une réelle pertinence pédagogique. Plus que de montrer comme faire, il amène les apprenants, dans une démarche proche de la maïeutique socratique, à découvrir ce qu’ils cherchent. Ceci ne signifie pas que les apprenants ne peuvent rien apprendre sur la manière de mener des interventions tutorales par l'observation de leur tuteur, mais que le tuteur ne peut poser sa pratique comme un idéal à reproduire.

Le tuteur à distance est-il un observateur réflectif ?
Plus qu’un miroir parlant, le tuteur à distance est amené à développer une écoute active des apprenants. A ce titre, il permet à l’apprenant de s’entendre dire ou de se voir faire. Il semble pour autant, qu’il doive davantage mobiliser des compétences permettant la prise de conscience réflexive de l’apprenant que celles nécessaires à la simple réalisation de debriefs. 

Le tuteur à distance est-il un conseiller technique ?
Il peut apporter une aide technique aux apprenants. Toutefois, dans de nombreux dispositifs de formation à distance, ce rôle est dévolu à un tuteur-technique qui possède les connaissances et les droits d’administration sur les outils utilisés. Dans l'acceptation de l'expression telle qu'elle est présentée dans le tableau, l'apport de réponses en fonction du degré d'avancement de l'apprenant dans son parcours peut être interprété de manière très différente : progression sommative par pallier ou zone de développement proximal. Un tuteur à distance n'est pas totalement libre vis à vis de l'approche pédagogique de la formation qui reste de la responsabilité des concepteurs. De manière générale, le tuteur cherchera à ce que l'apprenant trouve par lui-même les réponses dont il a besoin.

Le tuteur à distance est-il un expert ?
Il peut l’être mais ce n’est pas un préalable bien que la plupart des apprenants à distance attendent de leurs tuteurs qu’il le soit. La notion d’expertise relative, c’est-à-dire par rapport aux connaissances que les apprenants possèdent ou sont amenés à construire durant la formation apparait une bonne réponse au positionnement du tuteur à distance sur ce plan. Le tuteur à distance n'est jamais un expert si l'on entend par là qu'il fera à la place de l'apprenant. Ceci est aux antipodes de la posture tutorale.



Au final, le tuteur à distance est davantage un conseiller, un facilitateur, un formateur. Dans une moindre mesure, et sous certaines précisions d'ordre sémantique, il est un expert et un conseiller technique. Il est dans des proportions encore plus faibles un instructeur, un partenaire (sauf si c'est un tuteur-pair) ou un modèle. A la place d’observateur réflectif, il semble plus pertinent de parler d’agent réflexif, rôle que le tuteur doit tenir. Si nous nous référons à Poumay qui écrit à propos du tableau présenté : « De gauche à droite, la responsabilité du conseiller augmente face aux résultats du projet. De bas en haut, sa responsabilité augmente face à la croissance du client, que nous pourrions nommer son "développement professionnel"», il apparait que le tuteur à distance est davantage centré sur l'apprenant que sur son projet. Ceci est pertinent dans la mesure où le projet est ici sa formation et qu'il est bien évident que lui seul peut l'entreprendre.

Cette typologie se révèle intéressante pour interroger la figure du tuteur à distance. Il n'en reste pas moins, qu'il existe un biais à parler du tuteur au singulier tant les contextes et les dispositifs pèsent sur le dimensionnement de ses fonctions. Comme j'ai eu l'occasion de le l'écrire, la solution à l'établissement de services tutoraux adaptés aux besoins et aux attentes des apprenants dépend davantage de la mise en oeuvre d'une véritable ingénierie tutorale plutôt que de la définition, même détaillée et prescriptive, d'un tuteur idéal, (lien vers les billets traitant de l'ingénierie tutorale).

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